Il a été montré en 1990 par Bales et Zangwill [#!Bales90!#] qu'une marche droite
se déplaçant grâce à un flux externe est morphologiquement
instable au-delà d'une valeur critique du flux incident.
Cette instabilité se produit à condition que les atomes provenant de la terrasse
inférieure s'incorporent plus facilement que ceux issus
de la terrasse supérieure (effet Ehrlich-Schwoebel (ES) [#!Ehrlich66!#] [#!Schwoebel66!#]). Cette instabilité
est l'analogue unidimensionnel de l'instabilité
de Mullins et Sekerka [#!Mullins64!#]. Une fois le seuil
de l'instabilité atteint, une perturbation initialement faible de la marche
s'amplifie exponentiellement dans le temps et l'analyse linéaire (réalisée par Bales et Zangwill)
cesse d'être valable. La première étude
non linéaire est due à Bena et al. [#!Bena93!#] en 1993. Ils ont montré que
près du seuil de l'instabilité (c.à.d. si
la valeur du flux est légèrement supérieure à sa valeur critique),
la dynamique de la marche est régie par une équation non linéaire
de type Kuramoto-Sivashinsky (KS), connue pour générer du chaos spatio-temporel.
En 1995 débutait dans notre groupe la thèse d'O. Pierre-Louis. Elle a porté
sur l'analyse d'un train de marches. Il ressort de ce travail
que la dynamique des marches est régie par une équation de KS modifiée,
la modification majeure étant le couplage de la marche à ses voisines
à travers le champ élastique ou via le champ de diffusion des adatomes.
Pour un train synchrone, cette équation se réduit à celle de KS.
Ces études ont été menées dans un contexte où la désorption
des adatomes est probable sur une longueur de l'ordre de la largeur
d'une terrasse. Or, dans de nombreuses circonstances, la désorption
des adatomes est faible. Il a été réalisé [#!Pierre-Louis98a!#]
que la limite d'une désorption faible est singulière, en ce
sens que, à la différence de l'équation KS, l'équation
d'évolution contient (même pour un flux très faible) de très
fortes non-linéarités. L'étude numérique
de cette équation a révélé une structure cellulaire
avec une certaine longueur d'onde fixée dès le premier stade de la dynamique.
La rugosité de le la marche croît indéfiniment au cours du temps
comme et le sommet de chaque cellule
présente un pic très prononcé.
Notre contribution a porté sur les points suivants.
(i) Nous avons réalisé que le pic au sommet des cellules
n'est que le résultat d'un bruit numérique subtil.
Dans un premier temps nous avons développé des méthodes numériques
variées (impliquant une formulation intrinsèque
et faisant usage des notions subtiles
de géométrie différentielle) qui nous ont permis de prouver
que les pics étaient parasites. Nous avons mis en évidence
le fait que la structure cellulaire développe des plateaux aux sommets (cf. fig. []).
(ii) Les cellules, représentant la modulation
du profil de la marche, manifestent une symétrie entre l'avant
et l'arrière. Cette symétrie est présente
dans l'équation d'évolution elle-même mais
pas dans le modèle complet de BCF. Nous nous sommes attachés à comprendre
cet effet. Nous avons réalisé que
ceci est lié au fait que l'équation
d'évolution est le résultat d'un développement (singulier)
au plus bas ordre en un petit paramètre (qui est proportionnel
au flux incident). En poussant le développement à l'ordre
suivant, nous avons montré que l'équation d'évolution ne jouit
plus de la symétrie avant/arrière. L'analyse numérique
révèle effectivement cette brisure de symétrie (voir fig. []).
(iii) Nous avons ensuite analysé l'effet de l'élasticité
sur la structure. Plus précisément, nous avons inclu
l'interaction entre marches dans la dynamique
d'évolution. Cette étape est dans
sa première phase de développement, mais
dores et déjà on peut dire que l'élasticité bouleverse
le comportement de la dynamique : au lieu d'un choix
d'une longueur d'onde depuis le premier stade de croissance, nous trouvons
que l'élasticité induit une maturation (coarsening en anglais)
de la structure (cf. fig. []).